jeudi 27 septembre 2018

Jean, le migrant


Jean Dubruel, fils d’Arnaud, greffier  de Cahors et d’Anne Dulac naquit à Prayssac le 8 juillet 1690 et, d’après ce que l’on sait, était le troisième d’une fratrie de sept.

Que l’abondance de progéniture chez les DUBRUEL contraignît les cadets à essaimer dans la région faute d’héritage,  peut se concevoir, mais le choix de s’installer à Martignas, si loin de ses bases familiales, demeure un mystère.

Il fait son apparition dans cette paroisse en février 1718 où, habitant de la commune, il signe le registre paroissial comme témoin à un baptême.

le 17 janvier 1719, lorsqu’il épouse Peyronne RAYMOND, fille de feu Guilhelm RAYMOND ( décédé à Martignas le 10 janvier 1711 et enseveli dans l’église paroissiale ) et de Peyronne alias Pétronille LAGURGUE, il se déclare praticien, dont le dictionnaire de Trévoux nous dit qu’il s’agit d’ « un homme expert ès procédure et instructions des procès, qui fréquente les cours et les sièges des juges, qui entend le style et l’ordre judiciaire, qui sait les usages, les formes prescrites par les ordonnances et règlements, et qui est capable de toutes sortes d’actes, sommations, libellés et écritures. » 




Fils du greffier de Cahors, il a probablement travaillé aux côtés de son père et passé quelques degrés à l'Université de la ville 

Martignas comptait déjà un praticien et probablement Jean ne parvint-il pas à « faire son trou » dans ce village de 300 âmes car, dès 1721, cité comme témoin à un mariage, il décline sa qualité d’ « hoste », c’est à dire une « Personne qui tient une auberge : maison généralement située à la campagne et où l'on peut manger, boire et coucher en payant ; équivalent de l'hôtel-restaurant. C'est aussi, en général, le relais de la diligence ».

Les neuf enfants de Jean sont tous nés à Martignas, arrêtons-nous sur la bizarrerie des déclarations de naissance :

1 Pétronille, ° 22 février 1721 (mère Pétronille RAYMOND)
2 Etienne décédé à huit ans, environ, le 12-06-1734 (mère Pétronille LAGURGUE)
3 Pierre, qui suit, ( plus connu sous le nom de Pierre Antoine ), ° 28 -07-1726 (mère Pétronille RAYMOND)
4 Pierre, °14-08-1729, + 25-12-1732 (mère Pétronille LAGURGUE)
5 Marguerite, ° 29-05-1732, +07-08-1736 (mère Pétronille LAGURGUE)
6 Pierre, ° 15-07-1735, + 28-10-1750  (mère Pétronille LAGURGUE)
7 Marie, ° 23-02-1738 (mère Marguerite LAGURGUE)
8 Marie, ° 29-04-1742 (mère Pétronille RAMON). Elle habitera avec Pierre-Antoine et participera à l’éducation des enfants. Elle vivait encore chez son frère en 1785.
9 Antoine, ° 9-08-1747 (mère l LAGURGUE).

Hypothèse 1 : le bon curé LARAT donnait à Pétronille, au gré de sa fantaisie ou suite à l’abus du breuvage local, indifféremment son patronyme paternel ou maternel. Sur l’acte de décès de Jean, en date du 31 octobre 1752, le même curé ira même jusqu’à affubler Pétronille du nom de HALIBURD…. !

Hypothèse 2 : il y avait 2 Jean DUBRUEL comme peuvent le laisser supposer les 2 signatures, complètement différentes dont l'une est identique à celle de l'acte de mariage. Cette dernière un peu alambiquée a l'allure de celle d'un homme de loi



Le contrat de mariage de Pierre-Antoine et Antoinette HUGON daté du 14 novembre 1752, mentionne feu son père Jean comme ayant été « chirurgien juré » tout comme un article paru dans « Pyrénées dans une Aquitaine terre d’accueil, terre d’exil », qui le dit Maître en chirurgie de St Médard en Jalles, quoique non inscrit sur les registres bordelais. Ces affirmations s’avèrent historiquement contestables car, même absent des registres de la profession sur toute la période 1719 – 1752, Jean devrait être mentionné dans ceux de la Jurade qui recueillait les prestations de serment, or il ne l’est pas, tout comme il ne l'est pas dans les listes des inscrits ou des diplômés de l'Université de Montpellier. Nous sommes dans le flou le plus total et comme le dit notre chère Martine AUBRY:"quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup"!

A noter que les apprentis chirurgiens ne fréquentèrent les facultés qu'un peu avant le milieu du XVIIIème siècle lorsque pour être reçu Maître, il fallait y avoir passé une Maîtrise ès Arts (1731). L'enseignement théorique universitaire ne devint, quant à lui, obligatoire qu'en 1748.
 
Enfin, de son vivant, Jean ne s’est jamais déclaré chirurgien.

Probablement cela faisait-il plus « chic » de se dire fils de chirurgien que fils d’aubergiste … allez savoir.

En juillet 1755, Pétronille vend une petite vigne,

« Aujourd’hui, onzième du mois de juillet mille sept cent cinquante-cinq, après midy, par devant le notaire royal soussigné et les témoins bas nommés, a été présente Pétronille RAMOND, veuve de feu Sr Jean DUBRUEL, habitante de la paroisse de Martignas, laquelle de sa bonne volonté a fait vente par ces présentes, purement, simplement et à jamais à Pierre FRONTON, brassier, aussi habitant du dit Martignas, présent et acceptants. Savoir de cinq prises de belle  vigne abrai ( ?) situées en la paroisse de Martignas et dans le bourg d’icelle qui confronte du levant à la vigne de Jean SEMEDAZT, ruelle mitoyenne entre deux, du couchant à la vigne de Jean DUBOURG, aussi ruelle mitoyenne entre deux, du midi aux pré et bois de Raymond EYQUEM, un petit ruisseau entre deux et du nord à la terre labourable de Jean FRONTON, père de l’acquéreur, sauf le tout mieux et plus à limiter, confronter et désigner.
Se disant est ensemble vendu par la venderesse au dit acquéreur, tous autres droits, titres, raisons, actions, possessions et demandes qu’elle ait, peut avoir sur et en les cinq prises de vigne, les lui garantir et défendre de tous troubles, dettes, hypothèques, procès, différents, quittes et déchargées de tous cens, rentes et lods, ventes, arrérages d’icelles, droits seigneuriaux et autres charges quelconques du passé jusqu’à ce jour. En payant, à l’avenir, par le dit acquéreur la rente annuelle que les dites cinq prises de vigne se trouveront chargées envers M. DEPIHELLIN, Sr de la terre et commanderie de Martignas de qui les cinq prises de vigne relèveront ; et pour les exécutions des présentes, les parties ont obligé tous leurs biens. Promis et juré, fait et passé en la dite paroisse de Martignas, maison de la dite venderesse, en présence de Maître Fronton THEVENARD, praticien de St Médard-en-Jalles et de Louis CHARLOT, laboureur, habitant du dit Martignas. Requis les parties et CHARLOT, témoin, ont déclaré ne savoir signer de ce interpellés. »

Une semaine plus tard, elle décide de convoler en juste noce avec un maître maçon local. Le contrat de mariage est, également, passé devant Maître THEVENARD, notaire à St Médard-en-Jalles :

« au nom de dieu soit, qu’aujourd’hui seizième du mois de juillet mille sept cent cinquante-cinq, après-midi, devant le notaire royal soussigné et témoins bas nommés ont été présents Jean DANIAUD, natif de St Pierre du diocèse de Saintes, à présent habitant de la paroisse de Martignas, fils naturel et légitime de feus Jean DANIAUT et Jeanne TEXIER ses père et mère d’une part et
Pétronille RAMOND, veuve de Jean DUBRUEL, habitante de Martignas, fille naturelle et légitime de feus Gilhem RAMOND et Pétronille LAGURGUE, ses père et mère d’autre part. Entre lesquelles parties de leur bon gré et volonté, faisant de leur conseil et consentement le futur époux devant ses parents et amis et la future épouse aussi, devant ses parents et amis ci tous présents, consentants et personnellement établis, ont fait et passé les pactes, articles et convention de mariage de la manière suivante : premièrement se sont promis de se prendre l’un l’autre pour mari et femme, épous et entre deux de célébrer le saint sacrement du mariage en face de notre mère sainte église catholique, apostolique et romaine lorsque l’une d’icelle en sera requise par l’autre ou par leurs parents et amis à peine de tous dépends et dommages. En faveur et contemplation du dit mariage et pour aider à supporter les charges d’iceluy, le futur époux a pris et prend la dite future épouse avec tous ses biens, droits, noms, raisons, actions paternels, maternels et autres, présents et à venir quels qu’ils soient et en quelque lieu qu’ils puissent être ; desquels droits le dit futur époux en jouira et en fera les fruits siens soudain après les noces, le tout suivant et conformément aux droit et coutumes de Bordeaux reçus par iceluy futur époux, il a promis comme sera tenu reconnaître, assigner, affecter et apporter à la dite future épouse comme il les lui reconnaît, assigne, affecte et hypothèque par les présentes sur tous et un chacun ses biens meubles et immeubles présents et à venir.
Et attendu l’amour conjugal que la dite future épouse a pour le dit futur époux, de son bon gré et volonté, icelle future épouse fait don et donation au futur époux de la jouissance de tous un chacun de ses biens meubles et immeubles qu’elle aura lors et au temps de son décès pour en jouir par le dit futur époux et ce pendant sa vie et si au cas le dit futur époux venait à se remarier, audit cas la dite donation de jouissance restera nulle et sans effet.
Se sont les dits futurs époux avouer comme ils s’avouent, moitié par moitié, les biens acquets que dieu leur fera la grâce de faire pendant leur mariage, lesquels acquets appartiendront aux enfants  d’eux descendants avec faculté d’en avantager un ou plusieurs de ces enfants de telle portion qu’ils trouveront à propos.. Et, s’il n’y a d’enfant, chacun disposera de sa dite moitié comme bon lui semblera, la jouissance du total réservé au survivant, enfants ou non. Gagnera le survivant, sur le total du premier décédé, la somme de quinze livres, de laquelle somme ils se font don et donation pour noces l’un à l’autre, déclarant les parties que la totalité de leurs droits est de la valeur de quatre-vingt-dix livres et pour l’exécution des présente les parties ont obligé tous leurs biens soumis à justice, renoncé, promis et juré.
Fait et passé en ladite paroisse de Martignas, au domicile de la dite future épouse en présence de Pierre EYQUEM, meunier et Sieur Antoine SAUVANELLE, maître chirurgien, habitants de Martignas, témoins requis qui ont signé et non les époux pour ne savoir. » 

En septembre de la même année, elle vend un journal (environ 34 ares) de terre labourable.

« Par-devant les Conseillers du Roy, notaires à Bordeaux, soussignés fut présente Peyronne RAMOND, veuve de Jean DUBREIL, régent, habitante de la paroisse de Martignas, étant maintenant en cette ville.
Laquelle a par ces présentes fait vente pure et simple, dès maintenant et pour toujours, promettant garantir de tous troubles, dettes, hypothèques et évictions quelconques et de faire jouir paisiblement, à François CHARLOT, brassier, habitant de la paroisse de Martignas et ce présent et acceptant acquérir pour lui, les siens et ayant cause, c’est à savoir un journal de terre labourable situé dans la dite paroisse, lieu appelé au Puch, à la dite RAMOND appartenant du chef de Guillaume RAMOND, son père, confrontant du levant à la terre de Jean DUBOURG, du couchant à celle des héritiers du nommé GASPARD, du midi à la carreyre commune, fossés entre deux et du nord au bois taillis de la veuve de Jean CAZAUX ; sauf le dit journal de terre labourable mieux limité, désigné et confronté si besoin est, duquel avec ses entrées, passages, servitudes, titres, possessions et tous autres droits, noms, raisons et actions que la dite RAMOND a et peut avoir le concernant, elle s’est démise, dévêtue et  dessaisie en faveur du dit CHARLOT et mis en possession avec consentement qu’il en prenne la réelle quand bon lui semblera, en jouisse et en dispose comme de choses lui appartenant à juste titre; a commencé la jouissance de ce jour et lui transportant tous droits de propriété et usufruit.
Déclarant la dite RAMOND que le dit journal de terre vendu est mouvant en censive et directité du fief de Monsieur le Commandeur du Temple, auquel l’acquéreur sera tenu de payer les lods et vente de la présente acquisition et d’acquitter pour l’avenir la quotité de rente dont le fond vendu se trouvera chargé.
Cette vente ainsi faite moyennant le prix de soixante livres laquelle, le dit CHARLOT, acquéreur, a payé et réellement délivré à la dite RAMOND en dix écus de six livres pièces du cours, qu’elle a comptés et reçus à la vue des dits notaires. S’en contente, en tient quitte le dit CHARLOT par le prix du dit journal de terre vendu et promet, l’en faire tenir quitte envers et contre tous à peine de tous dépens, dommages et intérêts.
Et aux fins de l’entière exécution des présentes et le garantie de la dite vente, la dite RAMOND, venderesse, oblige, affecte et hypothèque envers le dit CHARLOT, acquéreur, tous ses biens meubles et immeubles, présents et à venir qu’elle a soumis à justice. Fait et passé à Bordeaux, en l’étude de PERRENS, l’un des dits notaires, l’an mille sept cent cinquante-cinq, le vingt neuvième du mois de septembre avant midy. Les dites parties ont déclaré ne savoir signer de ce faire interpeller par nous. »

Indication intéressante : Jean est évoqué, dans ce dernier acte comme « régent », c’est à dire comme maître d’école, probablement un second métier car l’acte du remariage de Pétronille nous apporte une nouvelle certitude quant à la profession principale de notre défunt ancêtre.

« L'an mil sept cens cinquante-cinq le neufs novembre, je soussigné Pierre LARRAT curé de la paroisse de Notre-Dame de Martignas, après la célébration des fiançailles faite en cette paroisse entre Jean DENIEAUT maître mason majeur et maître de ses droits, fils naturel et légitime de fus Jean DANIAUD  et de Jeanne TESSIER  d'une part, et de Pétronille RAMON veuve de fu Jean du BRUEL hote, et après avoir publié les trois bans de leur futur mariage, pendant trois dimenches ou festes consécutives sans qu'il y ait eu aucun empêchement civil ou canonique,et leur ay donné la bénédiction nuptiale, du consentement de leurs proches parens et amis selon la forme accoutumée par notre Mère Sainte Église et le droit canon; et ces ( ?) sont disposéz par le sacrement de l'eucharistie et de la pénitence, en présence du sieur Antoine FAUVETRELLE maître chirurgien et de Guilhem LAGURGUE laboureur qui n'ont signé pour ne savoir et tous habitans de la susdite parroisse »

Pétronille décédera à Martignas : « l’an mille sept cent soixante-dix-huit, et le sixième mars a été enterrée Pétronille RAMOND, veuve de Jean DUBRUEL, chirurgien, et femme de Jean DAGNEAU, morte la veille, âgée d’environ soixante-quinze ans, après avoir reçu les sacrements. En foi de quoi BOUSIGNY, curé de Martignas et les témoins bas signés SEMEDARD, AUGEY. »

Nous savons que l’acte de donation consenti, en 1785, par Pierre-Antoine à sa sœur Marie,  établit  le produit de la liquidation des biens mobiliers et immobiliers de Jean et Pétronille à 1.000 livres ce qui, à l’inverse des Dubruel restés  à Prayssac et environs, n’en faisait pas les « gros bourgeois du coin », même si 1.000 livres de capital en reflètent une situation d’honorables bourgeois de bourgade.

J’ai bien peur que l’on ne puisse en apprendre beaucoup plus sur Jean, les registres de Maître Fronton Thevenard, détenus aux archives de la Gironde, ne débutant qu’en 1766.