mardi 10 mars 2015

Eric Dubruel Louis DUBRUEL ( 1846-1905)


Louis DUBRUEL ( 1846-1905 ) est, sans conteste, l'un de nos ancêtres les plus discrets qu'on qualifie, rapidement, de grand bourgeois austère et « catho ». Parmi les papiers de famille, que m'avaient remis Guillaume DUBRUEL, fils de Jean, certains permettent de retracer des éléments de sa vie. 

Né à Bordeaux en novembre 1846, Anne, Marie, Louis DUBRUEL, fut élève de l’Institut Fénelon de 1856 à 1863 ; bachelier, il prépare son droit chez maître de MEREDIEU, avoué à Bordeaux, où il exerce en qualité de 3ème clerc et sur les bancs de la faculté de Toulouse.

Si, en 1846, Marc-Auguste, père de Louis, jouit d'une belle fortune, celle-ci s'évanouira avec les événements de 1848 qui causeront la faillite de la banque familiale, dont Marc-Auguste était le Directeur; historiette à venir sur le "croustillant Marc-Auguste).

C'est son fils Ernest, né en 1835 qui prend les choses en main et veillera à l'éducation de son frère cadet. A 28 ans, sa Maison de Négoce, dont il a toujours tenu éloigné les autres membres de la famille, lui apporte argent et notoriété et la loge maçonnique de « l'Amitié » au Grand Orient, dont il est l'Orateur, un solide réseau.

Son courrier du 24 août 1863, adressé à Monsieur CHAUVEAU, professeur de droit administratif à la faculté de Toulouse, évoque les lauriers de la fin de la scolarité de Louis, son caractère, déjà réservé, son admission à la faculté et donne un éclairage sur les us et coutumes (déjà ?) en vigueur à l’époque :

« Monsieur, avant mon départ de Toulouse je n’ai pu avoir l’honneur de vous voir pour vous exprimer de vive voix combien j’avais été touché de l’intérêt que vous aviez bien voulu porter à mon frère Louis DUBRUEL. Le jeune homme a été reçu bachelier avec la mention « assez bien » Il était tellement intimidé que je doute fort qu’il ait été reçu s’il n’avait rencontré des encouragements dans l’attitude bienveillante de Messieurs les examinateurs et particulièrement de Messieurs SAUVAGE et Gratien ARNOULT que vous aviez eu la bonté d’entretenir de cette véritable maladie. Mon jeune frère vient de remporter au concours général des lycées du ressort un premier prix qui fut fort disputé. Il a eu, en outre, cinq prix et quatre accessits au concours de sa classe au lycée de Bordeaux.

Je ne sais, Monsieur, vous exprimer ma reconnaissance. Permettez-moi de vous prier d’en trouver l’expression dans l’envoi que je prends la liberté de vous faire d’une caisse de nos vins de Bordeaux. Puisse ce modeste souvenir vous rappeler aux jeunes gens à qui vous avez cherché à être utile avec une cordialité que je n’oublierai pas.

Recevez, Monsieur...  »



Peut-être pour qu'il comprenne la valeur des choses, Louis ne bénéficiait pas de beaucoup d'argent de poche, disons même qu'il lui arrivait de tirer le diable par la queue, ce qui ne lui enlevait pas un réel sens de l'humour :

« le 13 avril 1864, je ne sais comment faire, j’essaierai toujours, je cours à la gare poster ma lettre sans l’affranchir » écrit Louis à qui il reste 2,50 francs en poche après avoir payé son voyage, sa chambre et son inscription.

Dans ses lettres des 14 et 15 novembre 1864 il décrit son échec dans une tentative de dispense d’annuité et sa rencontre avec un certain Monsieur PANEL, « qui n’a cessé de me tracasser que lorsque je lui ai promis de dîner avec lui. Autant de pris sur l’ennemi. »

Autre lettre du 16 janvier 1865  où il mêle humour et réalisme: «  il est arrivé un grand malheur…en pénétrant dans la salle par un escalier très étroit dont les murs sont de loin en loin décorés de clous, je me suis trouvé poussé contre le mur par la foule des étudiants. Un clou, sans malice aucune, a accroché mon pardessus et y a fait les deux côtés d’un carré à peu près comme ça (croquis). Ne te fâche pas le clou n’a pas fait exprès…si vous m’envoyez 10 francs, avec 95 francs, ce qui fait voyage et inscriptions (soit 72,20 francs avec lesquels j’aurai vécu, couché et graissé la patte au porteur depuis jeudi dernier), j’aurais, je crois, 6,50 francs de chambre, 2 de concierge, reste 14,50 francs à diviser entre vendredi, samedi, dimanche et lundi, soit à peu près 3,50 francs par jour. »

Les 15 et 16 novembre 1867, il communique sa nouvelle adresse chez Mademoiselle BEAUFILS, au 91 de la rue des remparts St Etienne, au prix de 20 francs pour 15 jours et prend pension chez DARDIGNAC, restaurateur de la place de la Trinité au prix de 35 francs par quinzaine ou de 65 francs par mois.

Se rendant à Toulouse, en troisième classe de chemin de fer, ses amis et lui « furent accompagnés à partir d’Agen par un clairon de la Légion d’Antibes qui sonnait la marche de son bataillon. » ; ( nous saurons vous faire aimer le train…).

Le 10 août 1868, il décroche sa licence après avoir soutenu sur « de injuriis et Famosis libelli. De l’adoption et de la tutelle officieuse. De la présomption de l’instance devant le juge de paix »

Il s’inscrit au barreau de Bordeaux, se fait remarquer par la Compagnie des Chemins de Fer du Midi qui l'embauche comme agent du contentieux à la Division Centrale de Bordeaux dont il deviendra, par la suite, le Chef.

Louise LAFARGUE raconte, dans son journal de jeune fille, sa première rencontre avec Louis chez ses cousins CLAVERIE :  « J’ai eu aussi pour cavalier un ami de Monsieur LAROZE. Ce Monsieur là m’a paru quelque peu impertinent ! Quand je danse il paraît que j’avais les yeux baissés, maman venait de m’en faire l’observation ; au moment où je commençais un quadrille avec ce monsieur, j’ai oublié ce que maman venait de me dire et ne songeant qu’à ce lorgnon braqué sur moi et sous lequel je me sentais rougir, je me suis mise obstinément à regarder le bout de mes pieds. Le lorgnon faisait bien son métier il paraît ; « Mademoiselle, m’a dit Monsieur DUBRUEL, avez-vous donc perdu quelque chose ? …. » J’ai relevé bien vite la tête très mécontente de lui et de moi. Pourtant au fond, j’ai trouvé ce Monsieur très gentil. »

C’était le jeudi 28 janvier 1869 et le 17 juin 1871 Louis DUBRUEL demandait la main de Louise LAFARGUE.

Par contrat de mariage, cette dernière apporte : « un ameublement de chambre à coucher, lit complet en bois d’acajou, sommier élastique, lit de plume, matelas, oreiller et traversin ; un petit lit de repos avec paillage, table de nuit, descente de lit, rideaux de lit et de deux fenêtres, glace et garniture de cheminée, commode, armoire à glace, deux fauteuils et trois chaises en tapisserie, lavabo et autres objets de toilette ; le tout évalué 1.500 francs ; dot : 23.500 francs : pour en garantir le paiement après son décès Madame LAFARGUE, dont la succession de feu son mari n’est pas encore réglé, affecte et hypothèque spécialement sa propriété de Bordeaux, 326 route de Toulouse, consistant en maison de maître, chais et bâtiments à divers usages, jardins, vignes, le tout formant un enclos d’environ 41 ares.

Elle s’engage à loger, nourrir, chauffer et éclairer les futurs époux qui n’auront à pourvoir qu’aux dépenses de nourriture des enfants à naître et des domestiques qu’ils prendront à leur charge. »

Louis démissionne de la Compagnie en 1872 pour prendre le Secrétariat Général du comité des assureurs maritimes de Bordeaux. Il en sera nommé Directeur l’année suivante et le restera jusqu’à son décès en 1905.

Il mérite tous les éloges de ses employeurs assureurs ; en 1879, Monsieur BERNOS, doyen des assureurs de Bordeaux, déclarait que, durant les deux années de sa présidence, il avait « pu apprécier d’une manière particulière les hautes qualités qui le distinguent, sa connaissance du droit, son aptitude remarquable à diriger les affaires les plus compliquées, la rectitude de son jugement, son esprit conciliant qui trouve toujours de l’écho parmi vous mes chers confrères. »

Ce jour là les assureurs festoyaient et les convives se régalèrent de potages aux perles et printanier, de croustades aux truffes, de filets de soles à la Villeroy, de jambon d’York aux épinards, de canetons à la Périgueux, de filet de bœuf Grand Veneur, de perdreaux au cresson, de champignons à la barigoule, de cailles bardées et terminèrent leurs agapes par une salade anglaise, un pudding Marquis, de la glace et un dessert. Le menu, en notre possession, précise que ce repas frugal était accompagné d’un vin ordinaire Desmirail 1872, d’un château Yquem 1874, d’un Cos d’Estournel 1869, d’un Durfort Margaux 1869, d’un château Malescot Saint-Exupéry 1869 et d’un château Lafite 1869. Un peu de moscatel, du champagne Veuve Cliquot ( frappé ), un café et des liqueurs venaient conclure le repas…. Avec modération

N'en concluons pas, pour autant que Louis était un afficionado des noces et banquets ,loin s'en faut : un jansénisme bien ancré dans les esprits, excluait toute mondanité et tout luxe d'une vie de famille rythmée par les différents offices religieux auxquels se rendaient quotidiennement ses différents membres.

En 1894, Emile, l'aîné des fils de Louis, rencontre à Arcachon, chez des amis communs, une jeune anglaise à la fortune tapageuse et ostentatoire. Les deux tourtereaux décident, seuls, de se fiancer, ce qui eut pour effet de mécontenter les deux familles. Dans ses mémoires, Tita raconte le visite de Louis DUBRUEL à Richmond : «  bon-papa Louis vint faire une visite et, un peu ahuri de voir l’enfilade des salons pensa que je ne pouvais épouser son fils… J’ai su qu’avant de paraître pour servir le thé dans le très grand salon, mais voici quelques bribes de la conversation : « est-ce que vous tenez à ce mariage Madame ? » …  « Pas du tout Monsieur ! ! ! ».

De retour rue des Fossés, où le salon était comme un mouchoir de poche, il dit à Mamie que Papa avait visé beaucoup trop haut. » …. il faut, quand même, garder à l'esprit, qu'à l'époque, les mouchoirs, fussent-ils de poches étaient de belle taille ….


Tout le monde est donc d'accord pour dire que ce mariage ne doit pas se faire, tout le monde sauf Tita et Emile qui persistent dans leur décision de signer.

En 1895, Louis se résout donc à rédiger, au nom de son fils Emile, la demande en mariage. Vous en apprécierez le libellé précis, ferme et courtois : « Madame, Lorsque au mois d’avril dernier j’eus l’honneur de vous rendre visite pour prendre de vos nouvelles et les faire transmettre à votre famille d’Arcachon par l’intermédiaire de mon fils, vous m’aviez entretenu de son désir qu’il vous avait présenté d’obtenir la main de mademoiselle votre fille. Vous me dites que vous ne pensez point que ce mariage fut possible en raison du peu de fortune des deux jeunes gens, ce défaut de fortune n’étant point compensé par les revenus que mon fils pouvait attendre de sa position. J’eus l’honneur de vous répondre, Madame, que j’avais les mêmes préoccupations, qu’en outre je trouvais mon fils bien jeune ; j’ajoutais qu’en ne brusquant point les choses il y aurait lieu d’espérer que le temps modifierait la situation.

Contrairement à mes prévisions, je vous prie de demander à Monsieur WITTY et vous demande d’autoriser ses fiançailles avec Mademoiselle Marguerite VIDAL. Mon fils se croit autorisé à penser que Mademoiselle vote fille ne désavouerait pas la demande qu’il me fait faire.

Laissez-moi vous dire tout de suite, Madame, que ce que je sais de Mademoiselle votre fille me fait bien juger de son mérite et de sa vertu. Elle pourrait être certaine de trouver dans ma famille autant d’estime que d’affection. Je sais aussi que votre famille est des plus respectables et qu’une alliance avec elle serait tout à fait honorable pour mon fils.

Je m’acquitte de la mission qu’il m’a confiée, mais il sera docteur et médecin de la Marine à la fin de l’année. Il a choisi le cadre colonial où les traitements seront beaucoup plus élevés. Il croit ainsi avoir fait disparaître une partie de vos préoccupations et des miennes. Il s’en remettrait à votre décision sur l’époque où les fiançailles seraient suivies du mariage ; il serait d’ailleurs raisonnable et prudent de le conclure si mon fils était nommé dans une bonne colonie.

Mais avant que vous preniez votre décision, Madame, je dois vous faire connaître que je n’ai aucune fortune et qu’en aurais-je quelque peu je réserverais ce que j’aurais pour mes filles, estimant avoir assez fait pour mes fils en leur donnant une situation et une profession honorable.

Je croirais devoir manquer à mon devoir envers mes autres enfants si je faisais pour Emile, une fois qu’il sera en possession de son grade, un sacrifice aussi petit qu’il fût. Il n’a donc rien à attendre de moi, même pas pour ses dépenses de mariage.

Je dois aussi appeler votre attention, Madame, sur les règlements militaires français qui déterminent les conditions matérielles de mariage des officiers….

Malheureusement le deuxième feuillet n’est pas en ma possession, mais il est d’ores et déjà évident que tout ne semble pas aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Suit le troisième, on découvre que les deux parents ont été mis devant le fait accompli par les deux tourtereaux :  « J’ai lieu de penser, Madame, que depuis le temps où vous avez entendu parler, pour la première fois, de mon fils, vous avez du vous informer de ce qu’il en était de sa famille ; je n’ai donc rien à vous apprendre au sujet de notre situation dans le monde.
La manière dont cette affaire a été engagée, sans que votre avis, sans que celui de madame DUBRUEL et le mien aient été pris, nous a placés, les uns et les autres, madame, dans une situation un peu anormale. Ma lettre s’en ressent peut-être, veuillez excuser ce qui pourrait vous en déplaire.
Je n’ai l’intention que de vous faire connaître ce que mon fils attend de votre bienveillance et de vous exprimer, en même temps, madame, les sentiments du respect…. (illisible) » 

Les parents d’Emile n'assisteront pas à la cérémonie de mariage célébrée à Richmond, près de Londres ; Louis faisait une crise d’asthme, et quelques-uns uns des enfants DUBRUEL étant malades, Louise préféra rester à leur chevet. Sur la route de l'embarquement pour Saïgon, les jeunes mariés font une halte à Paris et logeront chez Louis qui avait fait mettre à leur disposition son appartement parisien du boulevard des Capucines. Ils le trouvèrent garni de lilas blancs et rempli de chocolats de la marquise de Sévigné.

De Paris, ils gagnent Toulouse où Louis les rejoint. Il les accompagnera jusqu’à leur embarquement pour le Pacifique à Marseille.

Louis a eu soin de faire jouer ses relations pour obtenir recommandations et billets d'introduction pour son fils, nommé en Indochine. Il avait trouvé le bon interlocuteur en la personne d’un Marseillais, rédacteur des correspondances suivantes où se mêlent business et considérations personnelle et professionnelle

« Le 5 avril 1896. Mon cher ami, je suis abruti – si vous me permettez ce mot – je viens de signer 1.000 bons de pain, comme directeur de la Caisse d’Epargne des Bouches du Rhône. Nous les donnons en guise de jetons de présence aux administrateurs qui président aux opérations de la Caisse, chaque jour et de temps à autre il faut les renouveler pour remplacer ceux qu’un trop long temps a rendu impropres, c’est le mot, c’est à dire trop sales à force de passer de mains en mains ; 1.000 signatures ! . J’ai besoin de me rafraîchir l’esprit et je ne saurais mieux m’y prendre qu’en vous donnant de bonnes nouvelles pour M. Votre fils, car j’ai d’excellents résultats de ma conférence avec mon confrère le docteur HECKEL : quand je lui ai expliqué ce que j’attendais de son obligeance, il m’a dit qu’il était assez bien avec m. le docteur AYME pour lui recommander le fils de mon ami ; mais il a mieux que cela : son plus intime ami est le docteur de KERMORAND, chef du service de santé des colonies au ministère, est à qui m. AYME doit sa situation. Il va donc lui écrire directement, à Paris, pour le prier d’annoncer à son subordonné la prochaine arrivée de m. le docteur DUBRUEL en lui faisant savoir qu’il serait très désireux lui, KERMORAND, de le voir le pendre sous sa protection effective et le caser suivant les goûts de ce jeune docteur et suivant les désirs de sa jeune femme. Or il se trouve que m. de KERMORAND est le propre gendre de mon autre confrère m. CHAMPOISEAU, ministre plénipotentiaire en retraite ( à qui l’on doit la splendide Victoire de Samothrace qui est en haut de l’escalier d’honneur du Louvre ) et qui a pour moi une affectueuse estime, d’autant plus que j’ai été rapporteur de sa candidature ( je vous envoie une autographie de mon rapport que je retrouve dans mes papiers, à la maison, cela vous intéressera peut-être.) Je vais donc prier m. CHAMPOISEAU ‘écrire lui-même à son gendre pour lui recommander le jeune couple dans le sens que vous désirez.

Vos jeunes gens arriveront donc là-bas précédés de chaudes recommandations, point banales du tout ; Nous avons de la chance. M. HECKEL m’a dit que le docteur AYME pourrait peut-être confier à m. votre fils quelques clients, les médecins de la marine étant fort recherchés ( et la moindre visite se paye 20 à 25 francs ). Dans ces conditions, le jeune ménage pourrait s’installer à Saigon même…cependant ce sera à m. votre fils de voir, une fois arrivé et accueilli, ce qu’il convient de faire et quelle résidence lui serait plus agréable.

Quand m. votre fils sera ici, je le prierai de venir me voir chez le docteur HECKEL et chez m. CHAMPOISEAU : nous irons les remercier de ce qu’ils auront fait pour lui. Je suis très content.

Mais je le suis moins de l’acceptation hâtive du délaissement « océan » par les assureurs de m. PHILIPPART. Un rapport du délégué me donne fort à penser qu’il y a quelque chose de louche dans cette affaire d’avances ( ? ). Et quant au corps, je suis à peu près certain qu’on ne paiera jamais les sommes assurées. La Marine est très montée contre l’armateur qui est déjà allé aux assises il y a une douzaine d’années…il fut acquitté, mais son capitaine fut condamné…j’ai eu des nouvelles du « Saigon. » Un m. LECOMTE a fait opposition au paiement en mains des assureurs, mais vérification faite en ma présence, il a été reconnu que cela concernait les assureurs de Paris. Je pense donc que maintenant le procureur va envoyer les 4 à 5 mille francs sous une huitaine de jours, rien ne s’opposant à la délivrance du produit net revenant aux assureurs de Bordeaux. En attendant, recevez pour madame DUBRUEL mes plus respectueux hommages et croyez, mon cher ami à tout mon dévouement. »

La réponse de monsieur CHAMPOISEAU à ce Marseillais est datée du 18 avril 96 :

« La Victoire à la Croix Rouge, Marseille

Monsieur et très cher confrère,
d’après un mot que m’a adressé hier m. de KERMORGAND, M. DUBRUEL trouvera à son passage à Marseille une lettre officielle dont lui-même sera porteur pour M. AYME chef de service de santé à Saigon. De plus, mon gendre écrit directement cette fois et particulièrement au dit M. AYME en lui recommandant vivement le fils de votre ami de Bordeaux. Espérons que ces démarches auront un heureux résultat et que le jeune ménage auquel vous vous intéressez sera bien reçu et bien casé par son supérieur immédiat en Cochinchine.
Toujours bien cordialement vôtre. »

Quinze jours plus tard, le Marseillais écrivait à Louis :

« Mon cher ami,

J’ai reçu un télégramme hier qui m’a aussitôt fixé sur l’itinéraire de la concordance à Colombo, et non à Aden, des 2 vapeurs partant l’un le 19, l’autre le 26. Il n’y aura pas de temps perdu à Colombo par celui du 26, car celui du 19 fait escale à Bombay ; c’est celui que, dans mon télégramme, j’ai appelé l’indirect et ce détour permet à celui, direct, du 26, d’arriver en même temps que l’autre à Colombo.
Nous attendons vos enfants vendredi sans doute, car vous les garderez jusqu’au dernier moment avant cette longue séparation…je comprends votre émotion, mon cher ami, mais si nos enfants, la chair de notre chair, l’âme de notre âme nous tiennent tant au cœur, par les mille fibres qui font ressentir l’amour le plus pur, le plus entier, du moins nous savons que ces êtres chéris ne sont pas pour nous…ils doivent, à leur tour, fonder une famille, et nous, en retour de tout ce que nous avons fait pour eux, nous ne voulons qu’une chose, leur bonheur…
Voici une lettre de M. CHAMPOISEAU qui m’a annoncé que son gendre avait écrit particulièrement à m. AYME pour lui recommander encore très chaudement m. votre fils et sa jeune femme, en outre de la lettre officielle que m. votre fils emportera lui-même ou mettra à la poste, comme il en décidera. 
Je vous ai envoyé le chèque « Saigon », je l’avais demandé au Comptoir d’Escompte samedi. Je regrette de n’avoir pas fait cette remise plus tôt, car je sais que, par ces temps d’incessants sinistres, les assureurs ont besoin de toutes leurs ressources. Mes hommages, je vous prie, à Madame DUBRUEL, assurez vos chers enfants que nous les recevrons ici comme s’ils étaient de la famille et croyez, mon cher ami, à ma sincère affection.
Si vous voulez bien me télégraphier le départ de Bordeaux, de vos enfants, j’irai les recevoir à la gare et arrêterai avec eux le programme de leur séjour ici sans perdre de temps.
C’est à cause de l’heure avancée que, pour ne pas vous faire attendre, j’ai télégraphié hier soir rue des Faussets. » 

Comme il le précisait plus haut, Louis a toujours tout fait pour ses enfants ..

Le 10 février 1900, les assureurs fêtent les noces d’argent de Louis au Comité et le cinquantenaire de cette institution. Ce jour là, Monsieur Léonce GOYETCHE, Président de la Commission Administrative, exprime publiquement à son directeur « l’affection et l’estime des assureurs maritimes pour sa réelle compétence dans les questions soumises à son constant examen…. »

Là, par contre je n’ai pas le menu, mais craignons le pire….

les appointements de directeur de Louis étaient, en 1889, de 1.250 francs par mois, ce qui autorise une certaine aisance et permettait à la famille de louer, pour l’été, une maison à Ciboure, Arcachon ou Saint-Savin.

en 1902, la famille quitte l’appartement de la rue des Fossés Saint-Pierre pour s’installer au deuxième étage d’une vaste maison XVIIIème au 52 quai de Bourgogne, réservant le troisième, mansardé, au jeune ménage DUPIN de SAINT-CYR. Dans son livre, « Fragments », oncle Henri DUPIN écrit « on avait une vue incomparable sur le port et les rives droites de la Garonne. A cette époque, on voyait, en permanence, les trois-mâts en rivière mouillés devant nous ou accostés aux quais »

Louis décédera alors qu'Emile et Tita sont de passage en France ; Tita a consigné l’événement, en quelques lignes, dans ses mémoires : « Vers la fin de notre séjour en France bon-papa Louis, qui avait le cœur malade, vit son état empirer et il est mort le 23 octobre 1905. Tout Bordeaux l’accompagna à sa dernière demeure, et, alors seulement nous avons su qu’il payait pour deux jeunes orphelins élevés par les Frères. »

Nous laisserons la conclusion de cette historiette à la rubrique nécrologie que lui consacra la très Bordelaise et très mondaine ( pléonasme!) Revue du Tout Sud-Ouest

Dubruel (Louis), décédé à Bordeaux le 3 oct. 1905, était directeur du Comité des Assureurs maritimes depuis trente ans.

Issu d'une vieille famille de médecins bordelais, M. Louis Dubruel, jeuneavocat, avait attiré l'attention de la Compagnie du Midi. C'est là que des hommes comme MM. Bernos, de Boissac, Lançon, vinrent le chercher pour le mettre à la tête du Comité des Assureurs maritimes de Bordeaux.
Son esprit juste, droit et pénétrant, son intelligence vive et souple, son sens rigide de la Justice, imposèrent bien vite sa personnalité, tandis que l'affabilité de ses manières, la solidité de son amitié lui gagnaient de précieuses affections.
Uniquement occupé de son travail et des soins qu'exigeait sa nombreuse famille, Louis Dubruel passa dans la vie comme un exemple de ces hommes d'autrefois pour lesquels l'honneur était le seul but de l'existence.

En 1906, Louise quittera le 52 quai de Bourgogne pour s’installer 5, place Puy-Paulin où elle décéda près de vingt ans plus tard.

Louis et Louise ont eu huit enfants, tous nés à Bordeaux :



1 Charles, Marie, Emile, 03-08-1872 Bordeaux, 05-09-1922 Montdore,


2 Bertrand, Marie, Marc : ordonné prêtre en 1906, Père Jésuite, successivement aumônier des ACJF de Bordeaux et de Toulouse, il se fixe dans la ville rose. Il y sera Père spirituel au Caouzou, rédacteur au « Messager », membre du Comité de l’Union Sociale du Midi, Directeur de l’Union Catholique du Personnel des PTT de la ville et aumônier de l’Union régionale des cheminots.
Après avoir participé au développement des Semaines Agricoles, il co-fonde l’école Supérieure Libre d'Agriculture de Purpan et lance l’enseignement agricole par correspondance.
Prédicateur talentueux, il anime les Semaines Sociales à Paris, Rennes, Arras, Agen, Auch…
En 1926 il est nommé titulaire de la chaire Ozanam à la « Catho » de Toulouse, puis directeur de la revue « le recrutement sacerdotal » l’année suivante.
Il était membre du Comité de la Société archéologique de France, membre correspondant de L’Académie d’Entraide sociale et collaborait au Dictionnaire Apologétique de la Foi.
Une mort précoce, en 1928, ne lui permit pas d’achever sa thèse consacrée à la Régale.
Il se vit décerner, pour son ouvrage « l’Ecole Unique », la mention honorable de l’Académie des Sciences Morales et Politiques.

3 Louise, Marie, Rose, Blanche, Aimée ° 10-02-1879, + 01-01-1973 à Bordeaux épousa Charles DUPIN de SAINT-CYR, assureur maritime. Ils sont les,ancêtres des DUPIN unlimited ;

4 Marc, Marie, Bernard, Pierre, André, Docteur en droit, professeur à la Fac de Droit de Beyrouth, puis agréé près le tribunal de commerce de Bordeaux, épousa Madeleine MARMISSE, fille d’un médecin bordelais. Ils furent les parents d'André ;

5 Guillaume, louis, Marie, Jean, Pierre, ° 18-09-1884, + 09-09-1942 à Bergerac : il fut, avec MAURIAC, l’un des fondateurs du Mouvement « le Sillon ». Tout d’abord avocat, il exerça, par la suite, toutes sortes de métiers qui le menèrent de la direction des éditions SPES à un poste d’employé de PMU. Il épousa Louise CAZAJEUX, fille d’un Trésorier Payeur Général de l’Ariège dont il eut quatre enfants : Marc, Guillaume, Josette ( famille BOLDISZAR ) et Marguerite-Marie ;

6 Adélaïde, Marie, Josèphe, Amélie,Geneviève épousa Robert Henri KEHRIG, chevalier du Mérite Agricole, Directeur de la Feuille Vinicole de la Gironde. Ils furent les parents de tante Agnès POYLO ( dont l’un des fils, Jean-Marie, épousera Monica, la sœur de Tante Marion ) et d'oncle Franck.

7 Rose, Marie, Clotilde, Germaine, + 1927, religieuse de la Visitation,

8 Charlotte, + 1932 sans postérité