le 1er juin 1776, en l’étude de Maîtres CHEYRON et FAUGAS, Pierre-Antoine achetait la maison dans laquele il habitera jusqu'à sa mort : « une
maison située au 3 de la rue de la Porte Dijeaux, occupée par les
sieurs SAVOURION et autres, consistant en une boutique d’entrée
distribuée en plusieurs pièces par des cloisons appartenant au dit
sieur SAVOURION en remettant les lieux comme ils étaient sans les
dégrader, chambres et bains au derrière, chai au-devant dont la
porte est sur la rue des alouettes, cave prudente sur le devant, cour
au rez de chaussée, plusieurs chambres au premier étage, autres
chambres au second étage, deux greniers, communs et dépendances, le
tout en très mauvais état ».
Achetée
14.000 livres, la demeure, se situe dans le nouveau Bordeaux voulu
par l'intendant TOURNY et jouit d'un emplacement exceptionnel, à
deux pas de la place qui sera dominée, quatre ans plus tard, par le
Grand Théâtre alors en construction.
L'importance
des travaux de rénovation n'est pas pour faire peur à
Pierre-Antoine dont la fortune est bien assise.
Le
3 rue Porte Dijeaux a disparu pour faire place, au moins en partie,
aux galeries Lafayette.
Pierre
Antoine y teste le 30 frimaire an XI, laissant une veuve et trois
enfants, Pierre-Antoine, Pauline et Marc-Auguste, âgé de deux ans.
« Par-devant
le notaire public de Bordeaux soussigné et en présence des témoins
ci-après nommés a comparu le citoyen Pierre Antoine DUBRUEL,
officier de santé, demeurant à Bordeaux, rue Porte Dijeaux n°3 ;
Lequel
étant malade, néanmoins en tous ses bons sens, mémoire et jugement
a fait, dicté et prononcé mot à mot intelligiblement les
dispositions ci-après sous la forme de codicille en présence des
dits témoins au dit notaire qui les a écrites à fur et à mesure
qu’il les a dictées comme il suit.
Je
donne et lègue à Pierre Antoine, Pauline et Marc Auguste DUBRUEL,
mes trois enfants nés de mon second mariage avec Marie Rose SARAVIE
SAINT-MARC, par préciput et avantage à Marie DUBRUEL épouse du
citoyen GUERIN, seul enfant né de mon premier mariage avec
Antoinette HUGON, la cinquième partie de tous les biens meubles et
immeubles que je délaisserai et généralement de toute mon
hérédité ; en quoi j’institue mes dits trois enfants de mon
second mariage mes héritiers particuliers.
Voulant
témoigner à mon épouse tout mon attachement et lui procurer les
moyens de vivre dans une honnête aisance, je lui donne et lègue une
rente et pension annuelle et viagère de la somme de 550 francs
indépendamment de celle de 650 francs dont je lui ai fait donation
par notre contrat de mariage passé le 2 ventôse an cinq devant
BARON et son collègue, notaires à Bordeaux ; laquelle pension
totale de la somme de 1.200 francs sera payable six mois par six mois
et d’avance à compter du jour de décès, sans aucune retenue soit
pour cause de contribution créée ou à créer, soit pour aucune
autre cause ; en quoi j’institue ma dite épouse mon héritière
particulière. Dans le cas où le présent legs viendrait
à être querellé par mes héritiers,
je donne et lègue à
ma dite épouse pendant sa vie à compter du jour de mon décès la
jouissance de l’entière portion de mon hérédité dont la loi me
permet de disposer à ce titre en sa faveur, l’instituant aussi,
moyennant ce, mon héritière particulière.
Je
veux que le présent codicille soit exécuté nonobstant toutes
dispositions contraires que je pourrais avoir faites, lesquelles je
révoque et annule expressément.
Lecture
faite des présentes en entier par le dit notaire au dit citoyen
DUBRUEL, en présence des témoins, il a déclaré, aussi en leur
présence qu’il contient sa volonté dans laquelle il persiste.
Fait
à Bordeaux, dans la demeure du dit citoyen DUBRUEL en présence des
citoyens ci-après nommés et domiciliés à Bordeaux, à savoir :
Antoine CHAZELLES, boulanger, rue Porte Dijeaux n°4, Antoine
GRASSET, architecte, rue du Mirail n°45, Léon MAGONTY, pharmacien,
rue Margeaux n°11 et Arnaud BERNARD, militaire réformé, rue
Vergniaud, témoins à ce requis ont signé avec nous. Le citoyen
DUBRUEL interpellé de signer a déclaré ne pouvoir à cause de la
paralysie dont son bras droit est affecté. »
Avec
de si jeunes enfants et des ressources amputées, quoique
confortables, Rose vend la rue Porte Dijeaux, en 1809 et fait
l'acquisition, pour la jolie somme de 9,000 francs, du N° 32 de la
rue Bouffard, demeure qui est toujours debout.
Si
Pierre Antoine fils s'oriente vers les études classiques et
deviendra répétiteur pour les langues mortes, Marc-Auguste entend
l'appel de la mer et va débuter
jeune dans la vie active.
Son
dossier, conservé, en partie, au Service Historique de la Marine, à Vincennes,
dans le carton 744 de la série CC7, retrace la première partie de
sa carrière de marin de commerce qu’il débute à quatorze ans.
Du
23 février au 24 juillet 1817,
il effectue sa
première traversée, en tant que mousse à bord du Neptune
trois-mâts de 400 tonneaux et de 19 hommes d'équipage qui
appareille de Bordeaux pour la Guadeloupe. Ce tout jeune homme a bien
de la chance de faire ses premières armes sur l'un des fleurons de l'armement BALGUERIE.
Je
pressens que vous commencez à comprendre que le piston avait joué
et il était indispensable car, pour mener à bien une carrière de marin, il
fallait « décrocher » le
premier engagement, ce qui n’était pas évident si la famille et
les amis ne faisaient pas jouer leurs relations ou n'appartenaient
pas aux milieux maritimes.
Pour
pouvoir naviguer, il fallait, en effet, avoir navigué une première
fois. C'était un cercle vicieux qui faisait qu'il fallait déjà
être marin pour devenir marin ! C’est parce qu’une telle
obligation empêchait des enfants désireux d'embrasser la carrière
maritime que fut créée plus tard l'Ecole des Mousses de Bordeaux,
ouverte à tous.
Pierre
Antoine père avait eu, pendant des décennies, la double casquette
de chirurgien de l'amirauté de Guyenne et de chirurgien major de
l'hôpital St André de Bordeaux, ce qui lui avait valu une notoriété
considérable et une clientèle privée fort riche de négociants et
armateurs. Ces relations, en lien direct avec le monde de la mer,
rendront la chose aisée.
La
formalité du premier embarquement réglée, Marc-Auguste retourne
probablement en classe faire un bout d’études puisqu’il faut
attendre le 15 avril 1819 pour le voir reprendre la mer. Le revoici
sur le Neptune
croisant pour la Guadeloupe via Cadix.
Le
périple sera particulièrement long puisque le navire ne reviendra
que le 6 septembre 1820.
Six
mois plus tard, c’est en qualité de novice - c’est ainsi que
l’on nomme le marin âgé de 16 à 18 ans – qu’il embarque sur
l’Eugénie,
brick de 160 tonneaux et 11 hommes d’équipage, pour un nouvel
aller-retour Bordeaux-Guadeloupe, du 8 février au 14 juin 1821.
Du
19 juillet 1821 au 15 septembre 1822, enfin, il effectuera trois
nouveaux voyages pour la Guadeloupe et Saint Thomas, sur le Thétis
à bord duquel il
décroche son grade de
pilotin, c’est à dire élève officier de la « marmar ».
Pendant
ce temps là, en janvier 1822, le
Neptune s'échouait et s'éventrait, dans la baie de Tourane à 18 lieues des côtes de
l'Annam. La vie des marins tenaient à peu de choses.
A
son retour,
il est appelé sous
les drapeaux pour effectuer, comme tous les inscrits maritimes, son
service militaire dans la Royale. Il fait ses classes, du 10 janvier
au 21 mai 1823, à La Cayenne, près de Rochefort, puis sur la
Ménagère, une gabare
mouillée en rade de l’île d’Aix avant d’embarquer sur la
Magicienne,
une frégate de 40 bouches à feu, lancée le 11 avril de la même
année. Le rôle d’équipage le mentionne comme matelot charpentier
de 3ème
classe.
Notons,
incidemment, que la famille du pacha de La
Magicienne, le
capitaine de vaisseau LEBLOND-PLASSAN, un ancien de Trafalgar,
appartient à la bonne bourgeoisie bordelaise …. « on est
jamais aussi bien servi que par le hasard » écrivait Balzac.
Les
courriers échangés entre le commandant et son ministre de Tutelle
sont conservés au Service Historique de la Marine ( série BB4 444 )
et permettent de retracer cette période de la vie de Marc-Auguste.
Mouillée
en rade de l'île d'Aix, la frégate
appareille le 3 juin
1823
pour Cherbourg. Très vite le commandant informe le ministre que son
navire rencontre de graves problèmes de navigation puisque :
« par vent frais
la frégate prend de travers ou, au plus près, il faut rentrer les
canons de la batterie sous le vent et faire tenir au vent les hommes
de l’équipage de quart. »
Prenant sur lui d’interrompre le cours normal de sa croisière, il
se détourne de sa route et gagne Brest où il réclame des travaux
de mise aux normes.
« Mille
tonnerres » ! S'écrie le duc de CLERMONT du même nom, en
rejetant sèchement la demande de ce marin qui ose réclamer
des travaux sur une frégate tout juste sortie des chantiers navals
de Rochefort.
Pour
lui apprendre à vivre et à se taire, le ministre donne l'ordre au
commandant d’appareiller immédiatement pour l’Espagne.
Là-bas,
la France de Louis
XVIII combat pour aider le très réactionnaire, mais légitime
Ferdinand VII de BOURBON à remonter sur son trône.
Le
navire rejoint Le Ferol et La Corogne pour assister le corps d’armée
du Lieutenant-Général BOURKE qui achève la conquête de la Galice.
La
Corogne est prise, mais la guerre se poursuit ailleurs et un nouvel
ordre de Paris enjoint à la
Magicienne de rallier
Cadix. Pour les réparations, on verra plus tard.
Devant
cet acharnement du ministère à refuser toute escale prolongée qui
permettrait de faire effectuer les travaux qu’il juge nécessaires
à la sécurité de son navire et de son équipage, LE BLOND-PLASSAN
se met aux ordres de BOURKE qui le nomme commandant de la station de
La Corogne, fonction qui lui permet d’ordonner les travaux
réclamés.
Ceux-ci
vont durer deux mois et on ajoutera à la frégate :
« 40 tonneaux avec le premier lest et 50 tonneaux de cailloux
dans le faux rang du premier plan et encore 14 tonneaux de cailloux
pour remplacer les poids des objets et vivres déjà consommés.» Un
tonneau jaugeant 2.83 m3, c’est donc près de 295 m3 de lest qui
manquaient à ce navire pour voguer normalement !
Fernad
RAYNAUD se serait écrié : « là, là, y a comme un
défaut ! », mais LEBLOND-PLASSAN se contente d'informer
factuellement son ministre
Une
fois le navire en état de
reprendre la mer, BOURKE charge LE BLOND-PLASSAN d’armer et de
convoyer à Cadix l’Argonaute,
un trois-mâts chargé
de « 4 obusiers
de 9 pouces, 6 mortiers de 14 pouces, 2.000 bombes et 1.200 obus. »
La
Magicienne est,
quant à elle, chargée de transporter devant Cadix, les Français
dits transfugesqui se trouvaient à La Corogne lors de la
capitulation de cette place.
Les
deux navires appareillent le 25 septembre puis,une fois leur mission
achevée, font voile vers la France.
Le
29 octobre, la
Magicienne franchit
les passes de Brest.
Le
ministre se garde bien de sanctionner LE BLOND-PLASSAN,
officiellement complimenté par BOURKE et par le duc d’Angoulême,
neveu de Louis XVIII et commandant en chef de l’expédition
d’Espagne mais, par basse vengeance, il inflige à l’équipage un
repos de courte durée, en programmant pour la
Magicienne une
nouvelle croisière à destination de l’Amérique Latine.
Son
Excellence Monseigneur le duc de Clermont-Tonnerre, Ministre de la
Marine et des Colonies a la rancune tenace ….
Depuis
1816, BOLIVAR, SUCRE et SAN MARTIN libèrent progressivement le
continent sud-américain de la tutelle espagnole, donnant naissance à
de nouveaux Etats : Argentine, Chili.. La disparition de la
présence espagnole ouvre de juteux marchés aux négociants
français, surtout bordelais, mais laisse aussi le champs libre aux
pirates ou corsaires de tout poil. C’est donc pour protéger nos
navires de commerce et nos ressortissants sur place que le
gouvernement français décide d’installer, en 1821, une station
navale au Brésil, alors territoire portugais.
L’année
suivante, les troupes
brésiliennes, conduites par Pedro,
fils du roi du Portugal et vice-roi du Brésil
se rebellent contre les armées portugaises présentes dans la
colonie. Appuyé par la
France et l’Angleterre, Pedro remporte la victoire et se proclame
empereur.
Cette
intervention Franco-Britannique inquiète les Américains d’autant
que les BOURBON de France, par solidarité avec leurs cousins
d’Espagne, ayant refusé de reconnaître les nouvelles nations
indépendantes, toutes républicaines, font craindre une
participation de notre pays à une éventuelle campagne de
reconquête. C’est cette année là que le Président américain,
James MONROE, déclare qu’il considérera, à l’avenir, comme
inamicale toute intervention d’un pays européen sur le continent
américain. Bref : « l’Amérique aux Américains. »
Courageusement,
Louis XVIII décide de renforcer la station maritime du Brésil et de
la Plata composée de la
corvette l'Echo
et de deux bricks, le
Faune et l'Inconstant,
qui avaient connu leur heure de gloire : le premier accompagnait
la Méduse
lorsque celle-ci naufragea sur les hauts fonds du Sénégal en 1816
et c’est à bord du second que Napoléon I regagna la France
lorsqu’il décida de quitter son royaume de l’île d’Elbe en
1815.
C’est
dans ce contexte que le
Jean Bart, vaisseau de
lignes de 74 canons et la
Magicienne, toujours
avec Marc-Auguste à son bord,
appareilleront pour
Rio le 5 janvier 1824..
le
4 novembre 1823, LE BLOND-PLASSAN reçoit son ordre de mission
: « j’ai
prescrit que la Magicienne que vous commandez, compléterait à Brest
six mois de vivres pour son équipage. Je crois superflu de vous
recommander de prôner aux capitaines des navires français que vous
pourrez rencontrer la protection qu’ils ont droit d’attendre d’un
bâtiment du roi : mais en faisant connaître de ces capitaines
avec lesquels il vous sera possible de communiquer, l’heureux état
de nos affaires en Espagne, vous devrez ne point leur laisser ignorer
qu’il est présumable que des corsaires, sous couvert du pavillon
espagnol, continueront leurs déprédations pendant quelques temps
encore. Quant aux corsaires dont il s’agit, si vous en trouvez sur
votre route, vous agirez à leur égard comme le prescrivaient mes
ordres généraux dont vous avez préalablement reçu expédition.. »
En
donnant ainsi, aux équipages, pour mission officielle d’intensifier
le nettoyage de l’océan, le gouvernement affirmait la présence de
la France tout en rassurant les armées de libération et les
Etats-Unis sur la non-intervention de notre pays dans les affaires
locales.
Pendant
tout leur séjour, la
Magicienne et le
Faune sont
plus particulièrement chargés de patrouiller le long des côtes sud
du Brésil.
Le
Bayonnais,
gabare partie de Brest en mars chargée de rations et de caisses à
eau en fer destinées à la station de Rio, croise le
Jean-Bart et
la
Magicienne
devant Cabo Frio le 4 mai 1825
et reçoit l'ordre
de les accompagner et de transborder, en mer, les provisions de ces
bâtiments.
De
fait, ces deux vaisseaux viennent de quitter discrètement le Brésil
pour participer aux manœuvres
d’escadre en mer des Antilles avant de rallier la France.
La
Magicienne entrera en
rade de Brest le 25 septembre. Elle poursuivra une brillante
carrière, en participant aux batailles de Navarin en 1827 et d’Alger
en 1830 avant de sombrer corps et âmes, au large des Philippines en
1840.Des aventures et mésaventures auxquelles Marc Auguste échappera
puisqu’il avait été rendu à la vie civile, le 25 octobre 1825,
avec le grade de matelot timonier.
Dès
le 6 mars 1826,
il reprend la mer sur un trois mâts de commerce, le
Grand Céron, pour la
Martinique dont il reviendra le 14 juillet. Un mois plus tard, il
obtient son premier commandement, comme lieutenant, sur le
Léonidas , un brick
probablement américain, qui rallie Montevideo.
De
retour à Bordeaux le 16 mars 1827,
il décide de poser son sac pour suivre l’enseignement maritime
préparatoire, désormais nécessaire pour obtenir un brevet de
capitaine au Long Cours
Les conditions de délivrance dudit brevet viennent, en effet, d'être
modifiées par une récente ordonnance du 7 août 1825. instituant un examen en deux parties : l'une d'application
portant sur le gréement, la manœuvre et le canonnage, et l'autre de
théorie portant sur les mathématiques, la navigation, les
instruments, les calculs nautiques, les machines à vapeur et le
français. Pour se présenter à ces examens les candidats doivent
avoir 24 ans et réunir 60 mois de navigation à bord de navires
français.
Marc-Auguste,
âgé de 26 ans et qui avait fait valider quatre vingt deux mois et
vingt jours de navigation, remplissait la double condition requise.
Au terme de dix mois de bachotage dans l'une des 29 écoles
d'hydrographie ( probablement La Rochelle ou Nantes ), ouvertes aux
seuls inscrits maritimes, il est reçu le 30 mai 1828 au concours de capitaine et nommé le 25
juin suivant.
Nous allons interrompre, le récit de sa carrière, sur laquelle nous reviendrons. En effet, la perte d'un être cher va lancer notre ancêtre dans une course au trésor effrénée.
A suivre, donc dans l'historiette " mon cher, très cher cousin"
la
maison du 32 rue Bouffard