samedi 4 avril 2015

Eric Dubruel Ohé, Ohé, Matelot, Marc-Auguste navigue sur les flots ...!


 le 1er juin 1776, en l’étude de Maîtres CHEYRON et FAUGAS, Pierre-Antoine achetait la maison dans laquele il habitera jusqu'à sa mort : « une maison située au 3 de la rue de la Porte Dijeaux, occupée par les sieurs SAVOURION et autres, consistant en une boutique d’entrée distribuée en plusieurs pièces par des cloisons appartenant au dit sieur SAVOURION en remettant les lieux comme ils étaient sans les dégrader, chambres et bains au derrière, chai au-devant dont la porte est sur la rue des alouettes, cave prudente sur le devant, cour au rez de chaussée, plusieurs chambres au premier étage, autres chambres au second étage, deux greniers, communs et dépendances, le tout en très mauvais état ».

 Achetée 14.000 livres, la demeure, se situe dans le nouveau Bordeaux voulu par l'intendant TOURNY et jouit d'un emplacement exceptionnel, à deux pas de la place qui sera dominée, quatre ans plus tard, par le Grand Théâtre alors en construction.

L'importance des travaux de rénovation n'est pas pour faire peur à Pierre-Antoine dont la fortune est bien assise.
 
Le 3 rue Porte Dijeaux a disparu pour faire place, au moins en partie, aux galeries Lafayette.

Pierre Antoine y teste le 30 frimaire an XI, laissant une veuve et trois enfants, Pierre-Antoine, Pauline et Marc-Auguste, âgé de deux ans.

«  Par-devant le notaire public de Bordeaux soussigné et en présence des témoins ci-après nommés a comparu le citoyen Pierre Antoine DUBRUEL, officier de santé, demeurant à Bordeaux, rue Porte Dijeaux n°3 ;

Lequel étant malade, néanmoins en tous ses bons sens, mémoire et jugement a fait, dicté et prononcé mot à mot intelligiblement les dispositions ci-après sous la forme de codicille en présence des dits témoins au dit notaire qui les a écrites à fur et à mesure qu’il les a dictées comme il suit.

Je donne et lègue à Pierre Antoine, Pauline et Marc Auguste DUBRUEL, mes trois enfants nés de mon second mariage avec Marie Rose SARAVIE SAINT-MARC, par préciput et avantage à Marie DUBRUEL épouse du citoyen GUERIN, seul enfant né de mon premier mariage avec Antoinette HUGON, la cinquième partie de tous les biens meubles et immeubles que je délaisserai et généralement de toute mon hérédité ; en quoi j’institue mes dits trois enfants de mon second mariage mes héritiers particuliers.

Voulant témoigner à mon épouse tout mon attachement et lui procurer les moyens de vivre dans une honnête aisance, je lui donne et lègue une rente et pension annuelle et viagère de la somme de 550 francs indépendamment de celle de 650 francs dont je lui ai fait donation par notre contrat de mariage passé le 2 ventôse an cinq devant BARON et son collègue, notaires à Bordeaux ; laquelle pension totale de la somme de 1.200 francs sera payable six mois par six mois et d’avance à compter du jour de décès, sans aucune retenue soit pour cause de contribution créée ou à créer, soit pour aucune autre cause ; en quoi j’institue ma dite épouse mon héritière particulière. Dans le cas où le présent legs viendrait à être querellé par mes héritiers, je donne et lègue à ma dite épouse pendant sa vie à compter du jour de mon décès la jouissance de l’entière portion de mon hérédité dont la loi me permet de disposer à ce titre en sa faveur, l’instituant aussi, moyennant ce, mon héritière particulière.

Je veux que le présent codicille soit exécuté nonobstant toutes dispositions contraires que je pourrais avoir faites, lesquelles je révoque et annule expressément.

Lecture faite des présentes en entier par le dit notaire au dit citoyen DUBRUEL, en présence des témoins, il a déclaré, aussi en leur présence qu’il contient sa volonté dans laquelle il persiste.

Fait à Bordeaux, dans la demeure du dit citoyen DUBRUEL en présence des citoyens ci-après nommés et domiciliés à Bordeaux, à savoir : Antoine CHAZELLES, boulanger, rue Porte Dijeaux n°4, Antoine GRASSET, architecte, rue du Mirail n°45, Léon MAGONTY, pharmacien, rue Margeaux n°11 et Arnaud BERNARD, militaire réformé, rue Vergniaud, témoins à ce requis ont signé avec nous. Le citoyen DUBRUEL interpellé de signer a déclaré ne pouvoir à cause de la paralysie dont son bras droit est affecté. »

Avec de si jeunes enfants et des ressources amputées, quoique confortables, Rose vend la rue Porte Dijeaux, en 1809 et fait l'acquisition, pour la jolie somme de 9,000 francs, du N° 32 de la rue Bouffard, demeure qui est toujours debout.

Si Pierre Antoine fils s'oriente vers les études classiques et deviendra répétiteur pour les langues mortes, Marc-Auguste entend l'appel de la mer et va débuter jeune dans la vie active.

Son dossier, conservé, en partie, au Service Historique de la Marine, à Vincennes, dans le carton 744 de la série CC7, retrace la première partie de sa carrière de marin de commerce qu’il débute à quatorze ans.

Du 23 février au 24 juillet 1817, il effectue sa première traversée, en tant que mousse à bord du Neptune trois-mâts de 400 tonneaux et de 19 hommes d'équipage qui appareille de Bordeaux pour la Guadeloupe. Ce tout jeune homme a bien de la chance de faire ses premières armes sur l'un des fleurons de l'armement BALGUERIE.

Je pressens que vous commencez à comprendre que le piston avait joué et il était indispensable car, pour mener à bien une carrière de marin, il fallait « décrocher » le premier engagement, ce qui n’était pas évident si la famille et les amis ne faisaient pas jouer leurs relations ou n'appartenaient pas aux milieux maritimes.

Pour pouvoir naviguer, il fallait, en effet, avoir navigué une première fois. C'était un cercle vicieux qui faisait qu'il fallait déjà être marin pour devenir marin ! C’est parce qu’une telle obligation empêchait des enfants désireux d'embrasser la carrière maritime que fut créée plus tard l'Ecole des Mousses de Bordeaux, ouverte à tous.

Pierre Antoine père avait eu, pendant des décennies, la double casquette de chirurgien de l'amirauté de Guyenne et de chirurgien major de l'hôpital St André de Bordeaux, ce qui lui avait valu une notoriété considérable et une clientèle privée fort riche de négociants et armateurs. Ces relations, en lien direct avec le monde de la mer, rendront la chose aisée.

La formalité du premier embarquement réglée, Marc-Auguste retourne probablement en classe faire un bout d’études puisqu’il faut attendre le 15 avril 1819 pour le voir reprendre la mer. Le revoici sur le Neptune croisant pour la Guadeloupe via Cadix.

Le périple sera particulièrement long puisque le navire ne reviendra que le 6 septembre 1820.

Six mois plus tard, c’est en qualité de novice - c’est ainsi que l’on nomme le marin âgé de 16 à 18 ans – qu’il embarque sur l’Eugénie, brick de 160 tonneaux et 11 hommes d’équipage, pour un nouvel aller-retour Bordeaux-Guadeloupe, du 8 février au 14 juin 1821.

Du 19 juillet 1821 au 15 septembre 1822, enfin, il effectuera trois nouveaux voyages pour la Guadeloupe et Saint Thomas, sur le Thétis à bord duquel il décroche son grade de pilotin, c’est à dire élève officier de la « marmar ».

Pendant ce temps là, en janvier 1822, le Neptune s'échouait et s'éventrait, dans la baie de Tourane à 18 lieues des côtes de l'Annam. La vie des marins tenaient à peu de choses.

A son retour, il est appelé sous les drapeaux pour effectuer, comme tous les inscrits maritimes, son service militaire dans la Royale. Il fait ses classes, du 10 janvier au 21 mai 1823, à La Cayenne, près de Rochefort, puis sur la Ménagère, une gabare mouillée en rade de l’île d’Aix avant d’embarquer sur la Magicienne, une frégate de 40 bouches à feu, lancée le 11 avril de la même année. Le rôle d’équipage le mentionne comme matelot charpentier de 3ème classe.

Notons, incidemment, que la famille du pacha de La Magicienne, le capitaine de vaisseau LEBLOND-PLASSAN, un ancien de Trafalgar, appartient à la bonne bourgeoisie bordelaise …. « on est jamais aussi bien servi que par le hasard » écrivait Balzac.

Les courriers échangés entre le commandant et son ministre de Tutelle sont conservés au Service Historique de la Marine ( série BB4 444 ) et permettent de retracer cette période de la vie de Marc-Auguste.

Mouillée en rade de l'île d'Aix, la frégate appareille le 3 juin 1823 pour Cherbourg. Très vite le commandant informe le ministre que son navire rencontre de graves problèmes de navigation puisque :  « par vent frais la frégate prend de travers ou, au plus près, il faut rentrer les canons de la batterie sous le vent et faire tenir au vent les hommes de l’équipage de quart. » Prenant sur lui d’interrompre le cours normal de sa croisière, il se détourne de sa route et gagne Brest où il réclame des travaux de mise aux normes.

« Mille tonnerres » ! S'écrie le duc de CLERMONT du même nom, en rejetant sèchement la demande de ce marin qui ose réclamer des travaux sur une frégate tout juste sortie des chantiers navals de Rochefort.

Pour lui apprendre à vivre et à se taire, le ministre donne l'ordre au commandant d’appareiller immédiatement pour l’Espagne.

Là-bas, la France de Louis XVIII combat pour aider le très réactionnaire, mais légitime Ferdinand VII de BOURBON à remonter sur son trône.

Le navire rejoint Le Ferol et La Corogne pour assister le corps d’armée du Lieutenant-Général BOURKE qui achève la conquête de la Galice.

La Corogne est prise, mais la guerre se poursuit ailleurs et un nouvel ordre de Paris enjoint à la Magicienne de rallier Cadix. Pour les réparations, on verra plus tard.

Devant cet acharnement du ministère à refuser toute escale prolongée qui permettrait de faire effectuer les travaux qu’il juge nécessaires à la sécurité de son navire et de son équipage, LE BLOND-PLASSAN se met aux ordres de BOURKE qui le nomme commandant de la station de La Corogne, fonction qui lui permet d’ordonner les travaux réclamés.

Ceux-ci vont durer deux mois et on ajoutera à la frégate :  « 40 tonneaux avec le premier lest et 50 tonneaux de cailloux dans le faux rang du premier plan et encore 14 tonneaux de cailloux pour remplacer les poids des objets et vivres déjà consommés.» Un tonneau jaugeant 2.83 m3, c’est donc près de 295 m3 de lest qui manquaient à ce navire pour voguer normalement !

Fernad RAYNAUD se serait écrié : « là, là, y a comme un défaut ! », mais LEBLOND-PLASSAN se contente d'informer factuellement son ministre

Une fois le navire en état de reprendre la mer, BOURKE charge LE BLOND-PLASSAN d’armer et de convoyer à Cadix l’Argonaute, un trois-mâts chargé de « 4 obusiers de 9 pouces, 6 mortiers de 14 pouces, 2.000 bombes et 1.200 obus. »

La Magicienne est, quant à elle, chargée de transporter devant Cadix, les Français dits transfugesqui se trouvaient à La Corogne lors de la capitulation de cette place.

Les deux navires appareillent le 25 septembre puis,une fois leur mission achevée, font voile vers la France.

Le 29 octobre, la Magicienne franchit les passes de Brest.

Le ministre se garde bien de sanctionner LE BLOND-PLASSAN, officiellement complimenté par BOURKE et par le duc d’Angoulême, neveu de Louis XVIII et commandant en chef de l’expédition d’Espagne mais, par basse vengeance, il inflige à l’équipage un repos de courte durée, en programmant pour la Magicienne une nouvelle croisière à destination de l’Amérique Latine.

Son Excellence Monseigneur le duc de Clermont-Tonnerre, Ministre de la Marine et des Colonies a la rancune tenace ….

Depuis 1816, BOLIVAR, SUCRE et SAN MARTIN libèrent progressivement le continent sud-américain de la tutelle espagnole, donnant naissance à de nouveaux Etats : Argentine, Chili.. La disparition de la présence espagnole ouvre de juteux marchés aux négociants français, surtout bordelais, mais laisse aussi le champs libre aux pirates ou corsaires de tout poil. C’est donc pour protéger nos navires de commerce et nos ressortissants sur place que le gouvernement français décide d’installer, en 1821, une station navale au Brésil, alors territoire portugais.

L’année suivante, les troupes brésiliennes, conduites par Pedro, fils du roi du Portugal et vice-roi du Brésil se rebellent contre les armées portugaises présentes dans la colonie. Appuyé par la France et l’Angleterre, Pedro remporte la victoire et se proclame empereur.

Cette intervention Franco-Britannique inquiète les Américains d’autant que les BOURBON de France, par solidarité avec leurs cousins d’Espagne, ayant refusé de reconnaître les nouvelles nations indépendantes, toutes républicaines, font craindre une participation de notre pays à une éventuelle campagne de reconquête. C’est cette année là que le Président américain, James MONROE, déclare qu’il considérera, à l’avenir, comme inamicale toute intervention d’un pays européen sur le continent américain. Bref : « l’Amérique aux Américains. »

Courageusement, Louis XVIII décide de renforcer la station maritime du Brésil et de la Plata composée de la corvette l'Echo et de deux bricks, le Faune et l'Inconstant, qui avaient connu leur heure de gloire : le premier accompagnait la Méduse lorsque celle-ci naufragea sur les hauts fonds du Sénégal en 1816 et c’est à bord du second que Napoléon I regagna la France lorsqu’il décida de quitter son royaume de l’île d’Elbe en 1815.

C’est dans ce contexte que le Jean Bart, vaisseau de lignes de 74 canons et la Magicienne, toujours avec Marc-Auguste à son bord, appareilleront pour Rio le 5 janvier 1824..

le 4 novembre 1823, LE BLOND-PLASSAN reçoit son ordre de mission :  « j’ai prescrit que la Magicienne que vous commandez, compléterait à Brest six mois de vivres pour son équipage. Je crois superflu de vous recommander de prôner aux capitaines des navires français que vous pourrez rencontrer la protection qu’ils ont droit d’attendre d’un bâtiment du roi : mais en faisant connaître de ces capitaines avec lesquels il vous sera possible de communiquer, l’heureux état de nos affaires en Espagne, vous devrez ne point leur laisser ignorer qu’il est présumable que des corsaires, sous couvert du pavillon espagnol, continueront leurs déprédations pendant quelques temps encore. Quant aux corsaires dont il s’agit, si vous en trouvez sur votre route, vous agirez à leur égard comme le prescrivaient mes ordres généraux dont vous avez préalablement reçu expédition.. »

En donnant ainsi, aux équipages, pour mission officielle d’intensifier le nettoyage de l’océan, le gouvernement affirmait la présence de la France tout en rassurant les armées de libération et les Etats-Unis sur la non-intervention de notre pays dans les affaires locales.

Pendant tout leur séjour, la Magicienne et le Faune sont plus particulièrement chargés de patrouiller le long des côtes sud du Brésil.

Le Bayonnais, gabare partie de Brest en mars chargée de rations et de caisses à eau en fer destinées à la station de Rio, croise le Jean-Bart et la Magicienne devant Cabo Frio le 4 mai 1825 et reçoit l'ordre de les accompagner et de transborder, en mer, les provisions de ces bâtiments.

De fait, ces deux vaisseaux viennent de quitter discrètement le Brésil pour participer aux manœuvres d’escadre en mer des Antilles avant de rallier la France.

La Magicienne entrera en rade de Brest le 25 septembre. Elle poursuivra une brillante carrière, en participant aux batailles de Navarin en 1827 et d’Alger en 1830 avant de sombrer corps et âmes, au large des Philippines en 1840.Des aventures et mésaventures auxquelles Marc Auguste échappera puisqu’il avait été rendu à la vie civile, le 25 octobre 1825, avec le grade de matelot timonier.

Dès le 6 mars 1826, il reprend la mer sur un trois mâts de commerce, le Grand Céron, pour la Martinique dont il reviendra le 14 juillet. Un mois plus tard, il obtient son premier commandement, comme lieutenant, sur le Léonidas , un brick probablement américain, qui rallie Montevideo.

De retour à Bordeaux le 16 mars 1827, il décide de poser son sac pour suivre l’enseignement maritime préparatoire, désormais nécessaire pour obtenir un brevet de capitaine au Long Cours

Les conditions de délivrance dudit brevet viennent, en effet, d'être modifiées par une récente ordonnance du 7 août 1825. instituant un examen en deux parties : l'une d'application portant sur le gréement, la manœuvre et le canonnage, et l'autre de théorie portant sur les mathématiques, la navigation, les instruments, les calculs nautiques, les machines à vapeur et le français. Pour se présenter à ces examens les candidats doivent avoir 24 ans et réunir 60 mois de navigation à bord de navires français.

Marc-Auguste, âgé de 26 ans et qui avait fait valider quatre vingt deux mois et vingt jours de navigation, remplissait la double condition requise.

Au terme de dix mois de bachotage dans l'une des 29 écoles d'hydrographie ( probablement La Rochelle ou Nantes ), ouvertes aux seuls inscrits maritimes, il est reçu le 30 mai 1828 au concours de capitaine et nommé le 25 juin suivant.

Nous allons interrompre, le récit de sa carrière, sur laquelle nous reviendrons. En effet, la perte d'un être cher va lancer notre ancêtre dans une course au trésor effrénée.

A suivre, donc dans l'historiette " mon cher, très cher cousin"  











 
 


 





la maison du 32 rue Bouffard